28 octobre 2012

La Pleine Lune d'Octobre


Louis Boulanger, La Ronde Du Sabbat
La Pleine Lune du 29 Octobre à 8h00 PM-CET (7h00 TU) est appelée communément la Lune du Chasseur. La fête d'Halloween (ou Samhain, le 31 Octobre), considérée comme un temps sacré où les portes de l'Autre Monde s'entrouvraient pour brièvement offrir une voie de communication avec le monde des vivants, était souvent célébrée jadis à la faveur de cette lune.  

Le "ton" donné par le cosmos à la Nouvelle Lune s'est peu à peu incorporé dans les activités humaines à-mesure que l'astre croissait, et souvent de manière inconsciente. Selon la Tradition, l'énergie cosmique vitale dont le Soleil est la plus entière expression (Logos) et qui est répartie dans les astres selon leurs qualités, est progressivement reçue et diffusée sur terre par la sphère lunaire mais possède dès lors ses propres caractéristiques. Les deux puissances (masculine et féminine) du Soleil et de la Lune sont désormais égales, la seconde étant alors d'avantage que le simple reflet partiel du premier. En tant qu'opposition de deux principes à la fois contraires et complémentaires, nous sommes en présence du symbole même de toute véritable interaction consciente et nécessaire. En cela la Pleine Lune peut être une illumination dans tous les sens du terme. La Nouvelle Lune est un astre mort, apparemment vide, qui pourtant contient en germes tout avenir potentiel, tandis que la Pleine Lune indique assez clairement lesquels de ces germes sont arrivés à maturité grâce à son influence même. 

La Nouvelle lune était à 22° Balance, Saturne venait de quitter le signe de son exaltation pour celui du Scorpion, où il est en réception mutuelle avec Pluton et sous la maîtrise de Mars. Jupiter entamait sa rétrogradation sous la maîtrise de Mercure. Mars formait un trigone à Uranus et Saturne à Neptune. La Nouvelle Lune était sous la maîtrise de Vénus en Vierge, sextile à Mercure mais carrée à Jupiter. 

Si la signature du thème était bien Balance, la maîtrise finale de Saturne-Pluton et Mars (♄-♇ dispose du ciel presque exclusivement jusqu'à Janvier 2013) lui donnait déjà un caractère Scorpion. Vénus en chute en Vierge maîtrisant un Soleil également en détriment promettait un climat assez sombre et quelque peu inquiétant pour cette lunaison, si l'on se souvient de la Pleine Lune explosive précédente, conjointe à Uranus (maîtrise de Mars) et par conséquent carrée à Pluton. Quoi qu'il en soit cette Nouvelle Lune portait les potentialités d'une lunaison apaisée et apaisante  seulement en apparence, en surface, mais en réalité bouillonnante d'énergies et très active en profondeur.  Nous pourrions résumer cette Nouvelle-Lune comme l'annonce d'une période où les puissances destructrices s'exercent toujours, mais de façon contenue, rentrée, ce qui a pu être un sévère facteur de stress. Ebertin explique ainsi le mi-point ☉=☽=♃-♆ : Manque de maîtrise de soi, tromperie, spéculations hasardeuses, dilapidation et épuisement des forces vitales...(1)

Pourtant Mars trigone Uranus impliquait la mise en œuvre créatrice d'idées nouvelles et Saturne contribue à endiguer, lorsqu'il le peut, les débordements pulsionnels et à les transformer en "idéaux réalistes", applicables (le 24 surtout : ☽☌♆♓ - ☉☌♄♏ ), au lieu des fantasmes explosifs que peuvent souvent générer les deux transaturniennes. Des idées originales ont pu ainsi prendre une certaine hauteur pour échapper aux idéologies ordinaires et aux conventions. Le 17, ♅ = ☉-♀ indiquait la découverte de nouveaux talents  ou des créations artistiques significatives permises par de nouvelles techniques (2). Puis l' ingrès ☉♏☌♄△♆ impliquait des investigations sans concession, la mise en lumière de fraudes et de corruption dans les média, cultes et idéologies populaires en général (une volonté d'épuration des systèmes voués à entraîner ou exploiter l'imaginaire collectif).

Mais l'ingrès ☽ en ♐ / ♆ a pu s'accompagner d'erreurs de jugement  et d'abus de crédulité, dus peut-être parfois à un trop fort besoin de changement ou de nouveauté (☽- ♅) lequel  s'est d'ailleurs quelquefois concrétisé, mais sans doute pour la grande déception de certains…

Si l'on se souvient du carré de Mars et Vénus, exacerbé par Uranus, on notera que le sextile Mercure en Scorpion-Vénus en Vierge  a inspiré un certain apaisement par rapport à la tension électrique de la lunaison précédente, notamment dans certains cas en permettant un dialogue en apparence civilisé et sans tabous entre les sexes, mais aussi entre les institutions (☿=☽-♂, puis ☽-☿♏ ).

Cependant, d'une manière générale, le carré de Vénus affligée à Jupiter lui-même affligé ne porte guère à l'expression profonde des sentiments et ce malgré la présence de Mercure en Scorpion.  On a peut-être même constaté une certaine confusion dans les priorités affectives  (en particulier le 26 : ☽☍♀) mais ☿♏-☽-♀ a pu aussi, un temps, permettre une réflexion approfondie sur ces déviations et encourager le dialogue.

Avec l'opposition de Mars à Jupiter, Mars étant hors-limites et maîtrisé par un Jupiter rétrograde et en détriment, on a pu remarquer une tendance à l'exagération, à l'enthousiasme excessif et à l'emportement (surtout lors de la conjonction☽♂♏), à l'impatience, surtout, dans la volonté d'expression (en Novembre ☿ est en ♐ - réception mutuelle avec ♃ - et ♀ en domicile ♎) et des difficultés de concentration (☽=♂/♃ carré en T, le 25) mais aussi parfois à la dissimulation des motifs de mécontentement. Par exemple le 17 Octobre, le mi-point ☽=☿-♂ indiquait que pensée et actions étaient puissamment influencées par les émotions et les sentiments, et une tendance à l'irritabilité. Il n'est pas toujours facile d'éviter les situations et les idées stressantes, et les retours de bâton sont parfois douloureux (surtout lorsque Saturne et Mars dominent comme dans la configuration☽-♇♑/♅♈). 

Si l'on a correctement assimilé la signification de cette Nouvelle Lune et des transits de cette première moitié de cycle, la Pleine Lune en taureau ne devrait pas nous réserver d'immenses surprises.

Le Soleil est entré dans le signe du Scorpion (bon anniversaire!), la Pleine Lune est donc sur l'axe fixe Scorpion-Taureau, domiciles de Mars (Pluton) et de Vénus. Mars et Vénus, comme le Soleil et la Lune en un sens, symbolisent ici les forces masculines et féminines mais en tant que motifs d'action et d'inertie, de volonté de contrôle et de désir de confiance, d'agressivité et de pacifisme, de douleur et de jouissance. Peu avant, la Lune s'oppose d'ailleurs à Saturne, ce qui peut révéler un manque de contrôle assez dérangeant sur les émotions, mais également, et plus probablement (la Lune étant exaltée en Taureau) un refus catégorique de se laisser mener par les sentiments. Cette attitude peut entraîner des rapports conflictuels, mais elle pourrait aussi être l'expression d'une certaine sagesse, Saturne en Scorpion pouvant s'avérer assez tyrannique et manipulateur.

Le Taureau est un signe de Terre sensuel et matériel, le Scorpion un signe d'Eau émotionnel et passionnel : C'est surtout la contradiction de ces valeurs qui se fera sentir  à la Pleine Lune, si celle-ci est vécue de façon simplement pulsionnelle et psychiquement passive. En ce qui nous concerne, approfondissons plutôt l'analyse.

Plusieurs Planètes disposent du thème (Saturne-Pluton en réception mutuelle, Jupiter- Mercure, également en réception, et enfin Vénus), mais la signature du thème est Gémeaux. Contrairement à toute attente, c'est donc la réception mutuelle Mercure-Jupiter (les deux planêtes étant toutefois en détriment), et secondairement Vénus qui disposent de cette Pleine Lune! Mercure vient d'entrer en Sagittaire, sextile à Vénus qui a également effectué son ingrès dans son domicile en Balance. Vénus maîtrisant la Lune, on pourrait rapidement interpréter ces deux ingrès simultanés comme un désir d'harmonisation et de pacification par une réflexion poussée et une communication extensive. Mais rien n'est aussi simple, puisque tout dépend de la façon dont la première moitié du cycle a été vécue et intégrée.

Ainsi Mercure est carré à Neptune, impliquant de sévères difficultés de communication, voire de la confusion mentale (mais ceci est un phénomène courant lors des Pleines Lunes). Mars (hors-limites, à 23°46 de déclinaison) est toujours opposé à Jupiter en détriment, ce qui impliquerait des accidents dus à l' impulsivité ou l'étourderie (ce qui, lors des Pleines Lunes, est également fréquent),  mais aussi des abus de pouvoir ou des tentatives pour prendre le contrôle (Mars maîtrise Uranus, et le Soleil est en Scorpion avec Saturne). Cependant tout ceci peut demeurer à un niveau strictement verbal, voire commercial ou financier (extorsions, arnaques). Des événements pourraient se produire engendrant un certain malaise, une rupture désagréable avec nos habitudes de vie et de pensée. Heureusement Pluton est en bons aspects avec le Soleil et la Lune, ce que nous interpréterons plutôt comme la révélation, la mise au jour de choses anciennes profondément enfouies, une transformation intérieure radicale, spirituelle (3), ou encore la concrétisation de désirs secrets. Il est recommandé d'éviter d'entreprendre quoi que ce soit d'important durant cette période. Les natifs des signes des Poissons et du Bélier, ou ayant ces signes à l'Ascendant, ou un stellium dans ces signes, devraient redoubler de prudence. Le mot d'ordre pour les Sagittaire en particulier est, en tout état de cause, la réflexion avant l'action. Les Taureaux et Balance, quant à eux, semblent bénis des dieux - et des diables... Bonne Pleine Lune et joyeuse Halloween.




Notes
  1. R. Ebertin : Combinaison des Influences Astrales
  2. Le 20 et le 21 les Islandais étaient appelés à se prononcer sur leur nouvelle constitution, proposée par de simples citoyens grâce à Internet. On y retrouve non seulement cette configuration (Uranus est lié aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de communication et d'expression démocratiques et humanistes) mais aussi le trigone de Saturne à Neptune qui signe les constitutions significatives…  Le 21, ☿ = ☽ - ♀ et ☉ - ♆ indiquaient qu'une harmonie fondée sur des valeurs solides était rendue possible et même facilitée, et que des idéaux pouvaient se concrétiser au mieux...
  3. Pluton en aspect avec la Nouvelle Lune implique le besoin de "lâcher prise", et en Taureau ctte nécessité pourrait concerner la peur d'un bouleversement des sens, ou d'un malaise face à l'idée qu'il existe un monde hors de la matière sensible, que l'individu est incapable de manipuler ni de contrôler...

11 octobre 2012

Ingrès de Saturne en Scorpion et réception réciproque avec Pluton : 1 - L'Oeuvre au Noir

Und so lang du das nicht hast, 
Dieses: Stirb und Werde! 
Bist du nur ein trüber Gast 
Auf der dunklen Erde. (1)
(Johann Von Goethe, Saturne et Pluton en Scorpion, à l'Ascendant)

Saturne a séjourné trois ans dans le signe de la Balance où la planète a pesé sur les responsabilités sociales en général, la justice et les traditions, et sur nos propres responsabilités relationnelles, continuellement menacées et malmenées par l'individualisme exacerbé, le détachement et le rejet impulsif de tout formalisme impliqué par Uranus en Bélier affligé par Pluton. Sur un plan personnel, ce transit a pu permettre la consolidation de liens anciens ou particulièrement significatifs, leur organisation ou même pour les plus inspirés d'entre nous leur officialisation ou leur légalisation. Sur un plan plus général il s'est surtout agi de maintenir en douceur le 'contrat social', soient les structures interhumaines fondamentales, menacées de toutes parts. L'exaltation traditionnelle de Saturne en Balance suppose que la planète y est non seulement très puissante dans son action, mais aussi que ses traits négatifs y sont moins prononcés, adoucis sans doute par les vertus équilibrantes et tempérées de Vénus qui maîtrise le signe. Nous avons abordé ailleurs ce transit en détail ou en filigrane, mais de façon nécessairement constante, puisque Saturne est la planète qui marque les limites des mouvances et des influences collectives et donc qui indique à chacun selon sa propre maturité les étapes décisives traversées par son époque, sa génération. 

En conjonction avec Mercure, maître des signes intellectifs de la Vierge et des Gémeaux, et exalté en Balance où se trouve actuellement le Soleil pourvoyeur de Raison, Saturne a pu finalement être assimilé à un facteur de croissance pour la conscience, et, en Balance surtout, il l'a sans doute été d'une prise de conscience collective, de responsabilisation, de prise en considération de certaines puissances impersonnelles susceptibles de nuire à l'ordre cosmique. Il a ainsi été le vecteur d'un élargissement potentiel de conscience pour le Monde.

Il y a quelques jours Saturne est entré dans le signe du Scorpion. Voici la carte de l'ingrès :

Si l'on s'en tient à une interprétation rigoureuse, constatons que la nature a basculé du coté obscur de la force... En positions, les trois bénéfiques traditionnels (Soleil, Jupiter et Vénus) sont en débilité (chute et exil), tandis que les 'maléfiques' occupent une place prépondérante (Mars est en domicile en Scorpion - et dispose de l'ingrès à un degré près, s'il faut pleurer, c'est le moment - tandis que Saturne et Pluton sont en réception réciproque). On pourrait penser que les valeurs vénusiennes de conciliation et d'harmonisation, très féminines, tendent à s'effacer pour d'autres types de relations, certainement moins altruistes et plus agressives.

En aspects, la conjonction Lune-Jupiter, prise isolément et en trigone au Soleil en Balance, indiquerait la possibilité d'un réflexe des idéaux humanistes, et la conjonction Mercure-Saturne pourrait imposer des limites aux divagations de certains cultes et certains média, par une réflexion poussée sur les motivations profondes des individus et des masses, au risque de froisser certaines sensibilités et de heurter certaines habitudes de confort. En somme cet ingrès apporte aussi son lot d'espérances réalistes et d'optimisme, mais, avouons-le, dans un climat globalement très sombre.

Avant d'analyser en détail le transit de Saturne en Scorpion, et sa réception par Pluton, commençons par acquérir une sorte de vision panoramique des analogies et des mythologies associées à ce contexte. Dans la mythologie, il existe un rapport très-évident entre les dieux Saturne-Kronos et Pluton-Hadès : Saturne est le vieux dieu vaincu par Jupiter et précipité dans le Tartare, royaume de Pluton. Il s'agit donc d'un phénomène psychologique connu, que nous pourrions interpréter par la destitution d'un principe tyrannique (manger ses enfants signifie tuer le potentiel vital, les possibilités de renouveau : Saturne est un dieu paranoïaque et jaloux de ses prérogatives). Mais cette destitution demeure relative, car certaines variantes du mythe nous enseignent que Saturne continue de régner aux Enfers avec Pluton (c'est à mon sens ainsi que nous devons considérer cette réception mutuelle). Et nous connaissons bien d'autres similitudes entre les deux divinités : Tous deux accumulent les traits sombres et austères, tous deux règnent sur les profondeurs et les abîmes, symbolisent les limites, les frontières infranchissables ; tous deux sont associés à la mort : Pluton parce qu'il règne sur les âmes des disparus, et Saturne parce qu'il apparaît sous les traits d'un vieillard muni d'une faux, allégorie de la moisson des âmes que l'on retrouve dans de nombreuses cultures. Tous deux enfin représentaient les plus redoutés des principes naturels, durs, puissants, tyranniques, cruels (en ce qu'ils personnifient la peur, sans doute le premier levier de tout pouvoir terrestre), ceux à qui l'on vouait les cultes les plus sanglants et les plus sombres (à quelques exceptions près), les cérémonies de mort et de renaissance, les plus grands mystères initiatiques qui se célébraient la nuit - la nuit étant leur véritable milieu, leur élément - et dont on ne sortait transformés qu'après d'intenses souffrances. Parce qu'ils sont tous deux des 'gardiens du seuil', leur rôle conjoint est d'illustrer la lutte éternelle entre Lumière et Ténèbres, entre la Toute-Conscience et les profondeurs insondables, infernales et reptiliennes du psychisme. 

Saturne n'est pas le Bon Dieu du christianisme, même si on l'apparente parfois au Jéhovah du judaïsme. Il est d'avantage lié au dogme qu'au Principe, à la lettre qu'à l'Esprit. Dans les religions dualistes, comme le zoroastrisme, le manichéisme, le gnosticisme ou encore le catharisme, il est le principe obscur, le Roi du Monde ou le Démiurge, créateur de la forme et par conséquent, en tant que maître de la matière, l'adversaire du principe lumineux et spirituel. Mais c'est surtout dans l'alchimie à mon avis qu'on peut parvenir à comprendre cette ambivalence inhérente aux deux principes planétaires que sont Saturne et Pluton, et que les religions et gnoses que je viens d'évoquer ont mieux assimilée que les monothéismes dans leur forme dogmatique (à l'exception de certains mysticismes qui voyaient bien dans la mort même du principe spirituel lumineux - la chute du Soleil en Balance - la condition préalable de la résurrection éternelle, Sol Invictus) lesquels ont estimé innocemment qu'il suffisait de chasser - en fait, de réprimer - le Mal sous toutes ses formes pour que triomphe une hypothétique essence unique, un Bien universel...

Comme un rien sans possibilités, comme un rien mort après la mort du Soleil, comme un silence éternel, sans l’espérance même d’un avenir, résonne intérieurement le noir. V.Kandinski, Du spirituel dans l’art (Saturne en Scorpion à l'As opposé à Pluton) 

L’Œuvre au Noir (nigredo) de l'alchimie est ce qui s'apparente le plus, à mon sens, sur le plan des archétypes, à cette réception mutuelle de Saturne en Scorpion et Pluton en Capricorne. Or les textes s'accordent à voir dans le nigredo la clé de tout l’Œuvre philosophal, le Mysterium Magnum. L'Œuvre au Noir dans sa phase de putréfaction succède immédiatement à une forme de hiérogamie, qui est l'union cosmique des contraires. L'iconographie alchimique est faite de références constantes à la copulation et à la fécondation, et nous verrons plus loin que le rapport entre cette phase nécessaire (deux principes opposés et complémentaires s'unissant et se dissolvant dans un même processus de décomposition) est complètement en relation avec Saturne en Scorpion et Pluton en Capricorne. Bachelard et Eliade notamment ont pu parler, et à raison, d'érotisme alchimique dont on retrouve certains schémas dans le tantrisme Indien, par exemple. Le sexe est ici, uniquement, un acte purement magique, rituel, par lequel on acquiert de la puissance. Il ne s'agit pas de plaisir ni de reproduction mais de domination, de soi-même, de ses instincts, et sans doute aussi de l'autre.


Par ailleurs le stade alchimique de la putréfaction est intimement lié à celui de la germination, et en cela encore nous ne sortons pas des valeurs  Scorpion : Dans les Mystères Égyptiens (l'alchimie d'ailleurs nous vient d’Égypte) de la mort et de la résurrection d'Osiris, le myste est assimilé au grain, et il doit subir la corruption de la matière pour renaître sur un plan spirituel. Il en va de même dans les Mystères d'Eleusis. Tout se passe sous terre, dans un confinement, un isolement et un silence de sépulcre, et l'alchimie nous rappelle que le nigredo du laboratoire s'accompagne d'une forte odeur cadavérique. La régression qui s'ensuit - regressus in uterum, dirait Eliade, une Saison en Enfer, renchérirait Rimbaud - s'accompagne d'une perte totale de repères, aussi bien chez le philosophe que chez le myste. Le danger est réel, car dissolution et corruption signifient dissociation entre le corps et l'esprit, entre les fonctions physiologiques et psychologiques, c'est-à-dire une scission au sein des fonctions vitales de l'organisme. Le désespoir et l'humiliation sont alors à leur comble car toute l'entreprise paraît avoir échoué, et l’Œuvre semble complètement corrompu... On y trouve donc bien également les valeurs saturno-plutoniennes négatives de peur et de souffrance, d'autotorture, de désespoir et d'abandon, de volonté de sacrifice de soi, mais d'un autre coté émergent les valeurs positives d'ascétisme, de discipline, d'introspection, de maturation, d'expérimentation. Le temps et la patience sont les valeurs alchimiques souveraines.

Kronos, loren Fetterman
Saturne est le plomb des alchimistes, le métal vil qui par projection de la Pierre Philosophale sera transmuté en Or. Mais avant tout, à l'origine, Saturne est le nom de la Prima Materia, la Matière même de l’œuvre des philosophes, sur laquelle ils projettent leur travail, leurs propres transmutations intérieures. De la même façon qu'un ordre cosmique doit naître du chaos de la matière la plus brute et informelle, un cosmos doit s'incorporer dans le chaos qu'est le philosophe lui-même et le transformer profondément, définitivement. Telle est l'idée fondamentale de l'alchimie. Tout étant assujetti au destin, notamment par l'intermédiaire des pulsions abyssales, il s'agit de trouver ce qui dans cette vile matière n'est pas soumis à la corruption, cette étincelle d'éternité dans l'homme qui le rende susceptible de transcender la fatalité, le cycle des métamorphoses, des destructions et des renaissances. De là, en partie, l'assimilation traditionnelle de la huitième maison astrologique, domaine de Pluton, avec les héritages (toutes les formes d'héritage), qui constituent en somme l'essence subsistante et potentiellement active des êtres disparus.

L'Or philosophal est précisément cette part d'éternité qui survit aux mutations, tout comme le Scorpion, à ce qu'on dit, survit aux radiations nucléaires sans en être affecté. Lorsque noircit la matière de l’œuvre, cette nuit fangeuse, putréfiée qui est celle du Scorpion, signe d'Eau et du Capricorne, signe de Terre (mais toujours lié à l'Eau par sa queue de poisson, ou, comme disait Jung, de saurien, qu'il lui faut traîner derrière lui, de même que l'homo sapiens traîne ses pulsions ancestrales comme un héritage qui lui pèse mais dont il est à la fois redevable et responsable), commence donc le processus de putréfaction. Ce qui émerge de la réception mutuelle entre Saturne et Pluton est, dans le meilleur des scénarios, la base même de toute nouvelle structuration organiquement viable lorsque le travail est mené à son terme, ce qui prend du temps et s'accomplit dans l'obscurité, insensiblement, à l'abri des regards... La mort symbolique n'est pas à proprement parler celle de l'ancien Ego, mais plutôt le dépouillement, dans la douleur, des formes obsolètes, dépassées, des mauvaises habitudes affectives, sentimentales et émotionnelles. Il ne s'agit nullement d'intégrer entièrement un "surmoi" et encore moins un "ça" freudiens ; et surtout, comme l'écrivait Johannes Kepler (Soleil en Capricorne et Saturne en Scorpion trigone Pluton en X, Poissons !) à propos de l'Astrologie, "il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain" : II n'est aucunement question de se laisser complétement transformer par des courants de pensée collectifs extérieurs au point de leur sacrifier notre personnalité (thème Plutonien) et en somme tout ce qui fait notre valeur personnelle, notre spécificité, et notre humanité même... C'est au contraire dans la rencontre avec l'absurde et le néant, pour paraphraser Albert Camus, que l'individu découvre et consolide sa raison d'être, sa signification. (2)

Terminons cette entrée en "matière" par une anecdote : La légende alchimique rapporte que de cet Œuvre au Noir, permis par l'union des deux principes, naisse également un être minuscule, organique, ayant une forme vaguement humaine et qu'on nomme par conséquent l'homoncule. Cet être ne vit que de la force vitale et spirituelle de l'alchimiste, qui l'utilise et le dirige pour lui faire accomplir toutes sortes de tâches. Sans cette animation extérieure, l'homoncule n'est qu'une matière inerte ou accomplissant des actes mécaniques et répétitifs dénués de sens. Deux principes émergent donc de cette histoire : Le principe de toute puissance, lequel est lié à l'incorruptibilité de la volonté du maître, d'une part (pour en arriver là, l'alchimiste a dû mourir et renaître à lui-même en abandonnant à chaque fois une bonne part de ses espoirs et de ses illusions, c'est d'ailleurs ainsi que Dante définissait l'Enfer) ; celui de l'enchaînement et de l'esclavage de ce qui n'est de bout en bout que de la matière brute, soumise à toutes les métamorphoses, se prêtant à toutes les formes imposées par les conditions et le milieu expérimentaux. L’œuvre au Noir est en ce sens, pour reprendre l'expression de G.Durand, le point critique de la "transmutation d'un destin", et c'est peut-être ainsi que nous devrions appréhender sur un plan général la réception mutuelle entre les deux 'maléfiques', si l'on ne perd pas de vue que Uranus (le grand Alchimiste) forme toujours son carré explosif à Pluton.

Notes
  1. «Et tant que tu n'a pas compris cela : Meurs, et deviens! Tu n'es rien de plus qu'un hôte ombrageux de cette terre obscure »
  2. « Je tire de l'absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort - et je refuse le suicide ».
Références
  • F.Bonardel, Philosophie de l'Alchimie 
  • G. Durand, les structures anthropologiques de l'imaginaire
  • M.Eliade, Forgerons et Alchimistes
  • M.Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase 
  • G.Bachelard, La psychanalyse du feu 
  • C.G.Jung, les racines de la conscience 
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