Und so lang du das nicht hast,
Dieses: Stirb und Werde!
Bist du nur ein trüber Gast
Auf der dunklen Erde. (1)
(Johann Von Goethe, Saturne et Pluton en Scorpion, à l'Ascendant)
Saturne a séjourné trois ans dans le signe de la Balance où la planète a pesé sur les responsabilités sociales en général, la justice et les traditions, et sur nos propres responsabilités relationnelles, continuellement menacées et malmenées par l'individualisme exacerbé, le détachement et le rejet impulsif de tout formalisme impliqué par Uranus en Bélier affligé par Pluton. Sur un plan personnel, ce transit a pu permettre la consolidation de liens anciens ou particulièrement significatifs, leur organisation ou même pour les plus inspirés d'entre nous leur officialisation ou leur légalisation. Sur un plan plus général il s'est surtout agi de maintenir en douceur le 'contrat social', soient les structures interhumaines fondamentales, menacées de toutes parts. L'exaltation traditionnelle de Saturne en Balance suppose que la planète y est non seulement très puissante dans son action, mais aussi que ses traits négatifs y sont moins prononcés, adoucis sans doute par les vertus équilibrantes et tempérées de Vénus qui maîtrise le signe. Nous avons abordé ailleurs ce transit en détail ou en filigrane, mais de façon nécessairement constante, puisque Saturne est la planète qui marque les limites des mouvances et des influences collectives et donc qui indique à chacun selon sa propre maturité les étapes décisives traversées par son époque, sa génération.
En conjonction avec Mercure, maître des signes intellectifs de la Vierge et des Gémeaux, et exalté en Balance où se trouve actuellement le Soleil pourvoyeur de Raison, Saturne a pu finalement être assimilé à un facteur de croissance pour la conscience, et, en Balance surtout, il l'a sans doute été d'une prise de conscience collective, de responsabilisation, de prise en considération de certaines puissances impersonnelles susceptibles de nuire à l'ordre cosmique. Il a ainsi été le vecteur d'un élargissement potentiel de conscience pour le Monde.
En conjonction avec Mercure, maître des signes intellectifs de la Vierge et des Gémeaux, et exalté en Balance où se trouve actuellement le Soleil pourvoyeur de Raison, Saturne a pu finalement être assimilé à un facteur de croissance pour la conscience, et, en Balance surtout, il l'a sans doute été d'une prise de conscience collective, de responsabilisation, de prise en considération de certaines puissances impersonnelles susceptibles de nuire à l'ordre cosmique. Il a ainsi été le vecteur d'un élargissement potentiel de conscience pour le Monde.
Il y a quelques jours Saturne est entré dans le signe du Scorpion. Voici la carte de l'ingrès :
En aspects, la conjonction Lune-Jupiter, prise isolément et en trigone au Soleil en Balance, indiquerait la possibilité d'un réflexe des idéaux humanistes, et la conjonction Mercure-Saturne pourrait imposer des limites aux divagations de certains cultes et certains média, par une réflexion poussée sur les motivations profondes des individus et des masses, au risque de froisser certaines sensibilités et de heurter certaines habitudes de confort. En somme cet ingrès apporte aussi son lot d'espérances réalistes et d'optimisme, mais, avouons-le, dans un climat globalement très sombre.
Avant d'analyser en détail le transit de Saturne en Scorpion, et sa réception par Pluton, commençons par acquérir une sorte de vision panoramique des analogies et des mythologies associées à ce contexte. Dans la mythologie, il existe un rapport très-évident entre les dieux Saturne-Kronos et Pluton-Hadès : Saturne est le vieux dieu vaincu par Jupiter et précipité dans le Tartare, royaume de Pluton. Il s'agit donc d'un phénomène psychologique connu, que nous pourrions interpréter par la destitution d'un principe tyrannique (manger ses enfants signifie tuer le potentiel vital, les possibilités de renouveau : Saturne est un dieu paranoïaque et jaloux de ses prérogatives). Mais cette destitution demeure relative, car certaines variantes du mythe nous enseignent que Saturne continue de régner aux Enfers avec Pluton (c'est à mon sens ainsi que nous devons considérer cette réception mutuelle). Et nous connaissons bien d'autres similitudes entre les deux divinités : Tous deux accumulent les traits sombres et austères, tous deux règnent sur les profondeurs et les abîmes, symbolisent les limites, les frontières infranchissables ; tous deux sont associés à la mort : Pluton parce qu'il règne sur les âmes des disparus, et Saturne parce qu'il apparaît sous les traits d'un vieillard muni d'une faux, allégorie de la moisson des âmes que l'on retrouve dans de nombreuses cultures. Tous deux enfin représentaient les plus redoutés des principes naturels, durs, puissants, tyranniques, cruels (en ce qu'ils personnifient la peur, sans doute le premier levier de tout pouvoir terrestre), ceux à qui l'on vouait les cultes les plus sanglants et les plus sombres (à quelques exceptions près), les cérémonies de mort et de renaissance, les plus grands mystères initiatiques qui se célébraient la nuit - la nuit étant leur véritable milieu, leur élément - et dont on ne sortait transformés qu'après d'intenses souffrances. Parce qu'ils sont tous deux des 'gardiens du seuil', leur rôle conjoint est d'illustrer la lutte éternelle entre Lumière et Ténèbres, entre la Toute-Conscience et les profondeurs insondables, infernales et reptiliennes du psychisme.
Saturne n'est pas le Bon Dieu du christianisme, même si on l'apparente parfois au Jéhovah du judaïsme. Il est d'avantage lié au dogme qu'au Principe, à la lettre qu'à l'Esprit. Dans les religions dualistes, comme le zoroastrisme, le manichéisme, le gnosticisme ou encore le catharisme, il est le principe obscur, le Roi du Monde ou le Démiurge, créateur de la forme et par conséquent, en tant que maître de la matière, l'adversaire du principe lumineux et spirituel. Mais c'est surtout dans l'alchimie à mon avis qu'on peut parvenir à comprendre cette ambivalence inhérente aux deux principes planétaires que sont Saturne et Pluton, et que les religions et gnoses que je viens d'évoquer ont mieux assimilée que les monothéismes dans leur forme dogmatique (à l'exception de certains mysticismes qui voyaient bien dans la mort même du principe spirituel lumineux - la chute du Soleil en Balance - la condition préalable de la résurrection éternelle, Sol Invictus) lesquels ont estimé innocemment qu'il suffisait de chasser - en fait, de réprimer - le Mal sous toutes ses formes pour que triomphe une hypothétique essence unique, un Bien universel...
L’Œuvre au Noir (nigredo) de l'alchimie est ce qui s'apparente le plus, à mon sens, sur le plan des archétypes, à cette réception mutuelle de Saturne en Scorpion et Pluton en Capricorne. Or les textes s'accordent à voir dans le nigredo la clé de tout l’Œuvre philosophal, le Mysterium Magnum. L'Œuvre au Noir dans sa phase de putréfaction succède immédiatement à une forme de hiérogamie, qui est l'union cosmique des contraires. L'iconographie alchimique est faite de références constantes à la copulation et à la fécondation, et nous verrons plus loin que le rapport entre cette phase nécessaire (deux principes opposés et complémentaires s'unissant et se dissolvant dans un même processus de décomposition) est complètement en relation avec Saturne en Scorpion et Pluton en Capricorne. Bachelard et Eliade notamment ont pu parler, et à raison, d'érotisme alchimique dont on retrouve certains schémas dans le tantrisme Indien, par exemple. Le sexe est ici, uniquement, un acte purement magique, rituel, par lequel on acquiert de la puissance. Il ne s'agit pas de plaisir ni de reproduction mais de domination, de soi-même, de ses instincts, et sans doute aussi de l'autre.
Par ailleurs le stade alchimique de la putréfaction est intimement lié à celui de la germination, et en cela encore nous ne sortons pas des valeurs Scorpion : Dans les Mystères Égyptiens (l'alchimie d'ailleurs nous vient d’Égypte) de la mort et de la résurrection d'Osiris, le myste est assimilé au grain, et il doit subir la corruption de la matière pour renaître sur un plan spirituel. Il en va de même dans les Mystères d'Eleusis. Tout se passe sous terre, dans un confinement, un isolement et un silence de sépulcre, et l'alchimie nous rappelle que le nigredo du laboratoire s'accompagne d'une forte odeur cadavérique. La régression qui s'ensuit - regressus in uterum, dirait Eliade, une Saison en Enfer, renchérirait Rimbaud - s'accompagne d'une perte totale de repères, aussi bien chez le philosophe que chez le myste. Le danger est réel, car dissolution et corruption signifient dissociation entre le corps et l'esprit, entre les fonctions physiologiques et psychologiques, c'est-à-dire une scission au sein des fonctions vitales de l'organisme. Le désespoir et l'humiliation sont alors à leur comble car toute l'entreprise paraît avoir échoué, et l’Œuvre semble complètement corrompu... On y trouve donc bien également les valeurs saturno-plutoniennes négatives de peur et de souffrance, d'autotorture, de désespoir et d'abandon, de volonté de sacrifice de soi, mais d'un autre coté émergent les valeurs positives d'ascétisme, de discipline, d'introspection, de maturation, d'expérimentation. Le temps et la patience sont les valeurs alchimiques souveraines.
Kronos, loren Fetterman |
L'Or philosophal est précisément cette part d'éternité qui survit aux mutations, tout comme le Scorpion, à ce qu'on dit, survit aux radiations nucléaires sans en être affecté. Lorsque noircit la matière de l’œuvre, cette nuit fangeuse, putréfiée qui est celle du Scorpion, signe d'Eau et du Capricorne, signe de Terre (mais toujours lié à l'Eau par sa queue de poisson, ou, comme disait Jung, de saurien, qu'il lui faut traîner derrière lui, de même que l'homo sapiens traîne ses pulsions ancestrales comme un héritage qui lui pèse mais dont il est à la fois redevable et responsable), commence donc le processus de putréfaction. Ce qui émerge de la réception mutuelle entre Saturne et Pluton est, dans le meilleur des scénarios, la base même de toute nouvelle structuration organiquement viable lorsque le travail est mené à son terme, ce qui prend du temps et s'accomplit dans l'obscurité, insensiblement, à l'abri des regards... La mort symbolique n'est pas à proprement parler celle de l'ancien Ego, mais plutôt le dépouillement, dans la douleur, des formes obsolètes, dépassées, des mauvaises habitudes affectives, sentimentales et émotionnelles. Il ne s'agit nullement d'intégrer entièrement un "surmoi" et encore moins un "ça" freudiens ; et surtout, comme l'écrivait Johannes Kepler (Soleil en Capricorne et Saturne en Scorpion trigone Pluton en X, Poissons !) à propos de l'Astrologie, "il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain" : II n'est aucunement question de se laisser complétement transformer par des courants de pensée collectifs extérieurs au point de leur sacrifier notre personnalité (thème Plutonien) et en somme tout ce qui fait notre valeur personnelle, notre spécificité, et notre humanité même... C'est au contraire dans la rencontre avec l'absurde et le néant, pour paraphraser Albert Camus, que l'individu découvre et consolide sa raison d'être, sa signification. (2)
Terminons cette entrée en "matière" par une anecdote : La légende alchimique rapporte que de cet Œuvre au Noir, permis par l'union des deux principes, naisse également un être minuscule, organique, ayant une forme vaguement humaine et qu'on nomme par conséquent l'homoncule. Cet être ne vit que de la force vitale et spirituelle de l'alchimiste, qui l'utilise et le dirige pour lui faire accomplir toutes sortes de tâches. Sans cette animation extérieure, l'homoncule n'est qu'une matière inerte ou accomplissant des actes mécaniques et répétitifs dénués de sens. Deux principes émergent donc de cette histoire : Le principe de toute puissance, lequel est lié à l'incorruptibilité de la volonté du maître, d'une part (pour en arriver là, l'alchimiste a dû mourir et renaître à lui-même en abandonnant à chaque fois une bonne part de ses espoirs et de ses illusions, c'est d'ailleurs ainsi que Dante définissait l'Enfer) ; celui de l'enchaînement et de l'esclavage de ce qui n'est de bout en bout que de la matière brute, soumise à toutes les métamorphoses, se prêtant à toutes les formes imposées par les conditions et le milieu expérimentaux. L’œuvre au Noir est en ce sens, pour reprendre l'expression de G.Durand, le point critique de la "transmutation d'un destin", et c'est peut-être ainsi que nous devrions appréhender sur un plan général la réception mutuelle entre les deux 'maléfiques', si l'on ne perd pas de vue que Uranus (le grand Alchimiste) forme toujours son carré explosif à Pluton.
Notes
- «Et tant que tu n'a pas compris cela : Meurs, et deviens! Tu n'es rien de plus qu'un hôte ombrageux de cette terre obscure »
- « Je tire de l'absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort - et je refuse le suicide ».
- F.Bonardel, Philosophie de l'Alchimie
- G. Durand, les structures anthropologiques de l'imaginaire
- M.Eliade, Forgerons et Alchimistes
- M.Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase
- G.Bachelard, La psychanalyse du feu
- C.G.Jung, les racines de la conscience
bonne explication de la réception mutuelle de pluton
RépondreSupprimerclothilde