18 juin 2013

Un peu de considération pour la Vieille Dame: Réflexions sur l'analogie (et aperçu du Grand Triangle Mystique)

Isis voilée
La période astrologique que nous traversons, jusqu'au 1er Août, est essentiellement remarquable par la formation d'une configuration de Grand Trigone qui a récemment impliqué Mercure et Vénus  (5 Juin) et s’apprête, du fait de la lenteur de Saturne et Neptune également impliqués, à recevoir le Soleil (dès le Solstice d’Été, à 0°Cancer), puis Jupiter (le 26, à 0°Cancer) et Mars (dès le 17 Juillet). C'est un schéma intéressant puisque il est pour l'heure maîtrisé par Mercure, l'astre de l'intellect, qui préside à une interrogation générale très positive et constructive (Saturne Rétrograde en Scorpion) sur l'imagination créatrice et ses liens avec une certaine spiritualité ou une volonté d'amélioration ou d'élaboration des formes culturelles, médiatiques et idéologiques destinées aux masses (Neptune et signes d'Eau). En raison des Trigones en effet il est peu envisageable que la rétrogradation de Saturne indique ici une volonté de revenir radicalement en arrière, mais plutôt une prise en compte d'anciens schèmes et systèmes d'idées qui ont pu sembler dépassés mais qui pourtant demeurent profondément actuels et applicables aujourd'hui. Le Grand Trigone évoque idéalement une élévation spirituelle qui, sans rompre avec la réalité, est susceptible de la recréer et de l'augmenter.

Avec la signature lunaire par contre, dès le 21 (jour solsticial de la fête païenne de Litha), et la disposition pluto-saturnienne, la Lune étant alors affligée en Scorpion, le Trigone s'oriente sensiblement (le signe cardinal du Cancer étant alors, selon A.Ruperti, un lieu d'actualisation, de mise en mouvement des forces de la configuration, initiateur de passions partagées) vers l'exaltation du passé, de la mémoire, de la tradition (prise dans son sens religieux), de la morale, une mystique du peuple, de la famille, de la patrie (stellium en Cancer)... Bien que noyée dans un climat astral serein, paisible, cette nostalgie mystique sous-jacente doit tout de même être aussi mise en relation non seulement avec l'intensité du carré Uranus-Pluton, qui est son cadre de référence, mais également avec la disposition finale des trois maléfiques... Ainsi avec l'implication de Mars, en détriment en Cancer, dès le 17 Juillet en conjonction avec Jupiter (en exaltation) et opposé à Pluton, ce climat particulier risquerait d'être récupéré et largement détourné par des idéologies populistes (maîtrise lunaire, influençabilité) voire bellicistes, avouées ou non (Mars en Cancer se caractérisant par un repli sur soi et un protectionnisme agressifs). Mercure et Uranus étant non seulement rétrogrades mais aussi en carré, durant cette même période, on pourrait s'attendre à un durcissement et une radicalisation des opinions, portée tour à tour par un engouement et une torpeur généralisés, un optimisme trompeur et un espoir de façade en relation avec ce trigone qui peut tout aussi bien véhiculer de grandes illusions et favoriser l’institutionnalisation du mensonge... A l'inverse Saturne Rétrograde jusqu'au 8 Juillet peut marquer un point d'arrêt dans certaines habitudes modernes de gouvernance et de domination disons purement instinctives, par la prise en considération de leur inefficacité et de leur absence d'idéaux transpersonnels. Mais en attendant, plus positivement, le schéma astral est pacifique et propice à la (re)découverte de systèmes métaphysiques véritablement traditionnels et riches en potentialités (c'est une des valeurs liées à Saturne rétrograde en Scorpion) - dont avant tout l'astrologie, puisqu'elle est de notre ressort. Je développe quelques possibilités d'actualisation de cette configuration astrale, mais il est avant tout nécessaire de mettre l'accent sur les trois thèmes principaux du Triangle mystique, dans la plus favorable de ses virtualités, que sont l'Imagination (Nep) en accord avec la Raison (Sol) et la Connaissance (Sat).

L'imagination, malgré un récent retour en grâce dû à une confusion un peu rapide avec la créativité, s'apparente encore beaucoup dans l'opinion à la rêverie ou même, dans son sens Pascalien ("la folle du logis") à la pathologie. On a donc souvent tenté une distinction entre imagination et fantaisie ou fantasmagorie, la première répondant par sa propre nature à des lois pérennes qui l'empêchent de déborder le réel, lui permettent, littéralement, de faire sens (Saturne) tout en aidant à l'appréhender, le façonner ou le transformer, quand la seconde ferait fi des limites imposées et tendrait même à le détruire par l'absurde (1); cette dernière n'entre dans aucune étude anthropologique ou sociologique permettant d'en définir d'éventuelles structures durables; arbitraire et protéiforme, elle échappe aux universaux de l'Imaginaire (ou l'Imaginal, tel que l'entend H.Corbin) et n'est donc pas de notre fait, mais relève plutôt de la psychopathologie, au pire, ou du divertissement, au mieux, lorsqu'elle devient volonté d'affirmation d'elle-même et tire d'elle-même sa propre justification (l'image du Fou est éminemment ambivalente). Ce n'est donc pas le fantasmatique qui importe en soi aujourd’hui, mais bien la possibilité de le faire revenir de lui-même dans son cadre naturel historique et métaphysique (Saturne rétrograde et Mercure en Cancer pouvant indiquer la nostalgie de cette "stabilité des origines", Mercure, le Soleil et Jupiter - liés pour l'instant au mental - en offrent désormais l'occasion, le Soleil, surtout en Gémeaux, symbolisant d'ailleurs la Raison tout englobante). Qui, ou quelle idéologie, sera à même de se charger de la tâche, voilà la question inquiétante quand on sait que Saturne et Pluton, tous deux rétrogrades, ainsi que Mars domineront bientôt ce Grand Trigone mystique.

L'élément Eau est associé pour Bachelard au rêve, au voile de l'illusion. Mais par nature il tend vers une universalité harmonieuse, inclusive, totalisante. Le Triangle fonctionne par affinités et conciliations, privilégiant la fonction sentiment, créant des liens à l'infini, fondés non pas sur une réflexion intellectuelle détachée ni sur le besoin d'implication sociale (à l'inverse de Mercure et Vénus, ici conjoints en Cancer) mais sur l'intuition plus ou moins religieuse d'une totalité englobante qui transcende les antagonismes. Sans nous engager dans des considérations ni "idéologiques" ni trop abstraites, disons avec certitude que l'astrologie fait souvent appel à une forme de langage que les habitudes de notre époque ont eu abusivement tendance à laisser pour compte et à reléguer dans le domaine de ces rêveries fantaisistes qui n'est pas le sien, et qui pourtant demeure profondément active dans nos systèmes psychiques, bien que souvent livrée à elle-même - quand elle n'est pas détournée et utilisée à notre insu. 

Cette forme de pensée et de langage symbolique, j'ai nommé l'analogie (typiquement, Mercure et Vénus en conjonction), serait certainement qualifiée à tort d'archaïque si par là nous entendions inefficace ou dépassée,

"...les choses s'étant toujours exprimées par une analogie réciproque depuis le jour où le monde a été proféré comme une complexe et indivisible totalité." (Charles Baudelaire)
fig.3
fig. 2










fig. 1

Il faut, en effet, être particulièrement sûr de son fait pour décréter l'abolition de structures mentales qui ne sont somme toute que l'aboutissement de plusieurs dizaines de millénaires de culture (le "temps long", selon la terminologie structuraliste de l'historien F. Braudel). Archaïque, elle l'est littéralement, en ce qu'elle est le lieu sémiotique des archétypes psychologiques, qui sont par définition les plus anciens schèmes de la pensée. Peut être est-il ou non exact que le cerveau humain a peu évolué depuis l'apparition d'Homo Sapiens mais je ferai remarquer que ce dernier avait sur la plupart d'entre nous, au départ, cet avantage de connaître, comprendre et maîtriser la pensée analogique. Personne aujourd'hui, en revanche, n'avance plus la thèse jadis florissante selon laquelle il ignorait encore la pensée conceptuelle et rationnelle, simplement parce qu'elle est indispensable pour appréhender, manipuler, diriger et systématiser la pensée symbolique, ce que nos lointains ancêtres, nous apprend l'anthropologie, savaient finalement entre autres choses très bien faire. D'ailleurs serait-il vraiment surprenant que leur pragmatisme ait de loin surpassé celui de notre temps? (2) Je n'ai pas l'intention de m'étendre sur un sujet dont je ne suis pas spécialiste, mais dans ce cas il faut d'urgence redéfinir "pragmatisme"... Si, comme l'a dit le sociologue Gilbert Durand au Colloque de Beaubourg en 1988, "l'imaginaire est lié au sapiens", la notion selon laquelle l'homme pré-historique vivait, comme certaines populations arriérées ou "pré-conscientes" d'aujourd'hui, dans une sorte de rêve éveillé perpétuel est désormais trop biaisée et laisse de coté trop de réalités importantes. 

On ne peut que souligner la duplicité, incohérente ou cynique (sans parler du danger) d'un tel discours, qui est pourtant encore le plus généralement admis : d'une part nous avons des instances scientifiques, éducatives et morales, largement relayées et encouragées par la doxa médiatique, qui réfutent encore plus ou moins ouvertement la subsistance dans l'homme d'une telle pensée, espérant, au mépris de tout réalisme, la refouler des consciences ou l'exorciser avec les arguments dépassés du XIXème siècle, d'autre part des individus et des compagnies commerciales innombrables qui continuent pourtant de l'exploiter et de la diriger vers leurs propres fins, et par le même biais, puisqu'elle est ce qui détermine, en les parcourant, les structures de l'imagination... cette imagination malléable qui, comme chacun sait, fait vendre et acheter, est également encline, et incitée parfois, à suivre des voies bien plus sombres. Mais même sans recourir à des exemples historiques extrêmes, l'appropriation matérialiste du symbole archétypal et sa prolifération moderne extérieure sous la forme du logo ou de la marque apposée à l'objet consommable le plus trivial n'est rien d'autre que l'expression et l'excitation d'un désir d'appauvrissement proportionnel de l'univers intérieur de l'Homme (Le principe est tellement établi que les U.S.A. ont dû recourir ce mois-ci à la voie légale pour que soit interdite l'appropriation privée par brevet des gènes naturels humains... preuve qu'un certain humanisme demeure mais la seule tentative en dit long, à mon avis, quant au niveau de vigilance requis).

Sans idéalisme au sens platonicien l'imagination privée de repères (les principes de la démocratie républicaine - dans son acception Française - par exemple, qui ont longtemps cru pouvoir la contenir sont tournés en dérision par ceux mêmes qu'on élit ou qu'on délègue précisément pour qu'ils les servent et les préservent) sera toujours encouragée et exploitée par plus petit qu'elle-même, car désormais tout sera bon pour la contenir (2) ; on pourrait penser que, si tôt instruite de l'infiniment mesquin elle aspirerait de nouveau à de plus vastes régions de l'âme...(4) L'art n'est plus rien si, chassé de son propre domaine, il devient incapable de se référer à lui-même, et au bout du compte, c'est encore souvent la "pensée" à son degré zéro, médiatisable, véhiculant sans vraiment les connaitre les rêves du plus grand nombre, qui se sert au besoin de la pensée rationnelle en la débordant, et rarement l'inverse (5). L'encyclopédisme même, malgré toute sa bonne volonté, est souvent davantage le reflet toujours changeant de son cadre idéologique que cadre idéologique lui-même (6). Analogiquement, nous dirions que le sommeil finit toujours par nous gagner, ou que la Lune éclipse souvent Mercure... Nous ne pouvons pourtant nous passer ni de l'un, ni des autres, mais peut-être y a-t-il au moins quelque chose à en apprendre, d'autres leçons à en tirer que de nouveaux stratagèmes mercantiles.

Sans être de ceux qui développent l'idée fallacieuse selon laquelle "nous" n'utilisons que 90% de nos capacités mentales (lesquels pour la plupart non seulement parlent pour eux-mêmes mais ont tout intérêt à ce qu'il en soit ainsi... Sans rien dire de ceux, darwiniens ou théistes, qui relayent l'argumentation selon laquelle l'homme n'est plus capable d'évolution, ni de ceux qui introduisent sciemment "la peste" dans nos sociétés pour ensuite prétendre la guérir), il me semble qu'en faisant appel à l'ensemble des facultés raisonnantes, il n'est pas impossible que la pratique de l'astrologie permette et entretienne, sur le plan individuel, le fonctionnement optimal de zones du cerveau qui sans cela s'atrophieraient à force d'être reléguées au second plan. Par ailleurs, elle nécessite le recours constant et alternatif à l'analyse et à la synthèse qui pourrait empêcher une trop sclérosante spécialisation des fonctions cérébrales. En somme la pratique de l'astrologie pourrait offrir une plus grande ouverture d'esprit, condition nécessaire, dit-on, à l'exercice de la spiritualité (Neptune en Poissons). Bien entendu, n'étant pas neuroscientifique, je ne puis que laisser ces points sous leur forme d'hypothèses et au conditionnel, et à défaut des statistiques de l'I.R.M, en appeler au simple bon sens (6). En tant que professionnel, j'ai tendance à encourager la pratique (éclairée) de l'astrologie amateur car elle me paraît, en ce sens, un excellent support pour le développement personnel (outre que cela permet au consultant d'aller droit aux faits importants, sans avoir à se perdre dans les explications de points techniques dues à une mécompréhension du système. C'est donc surtout aux astrologues amateurs et aux étudiants que je m'adresse ici, en gardant l'espoir de disposer de plus de temps à l'avenir pour rendre ces idées accessibles à un plus grand nombre de personnes sans avoir pour cela à basculer dans le spectaculaire et l'horoscopie qui d'ailleurs n'encouragent guère la réflexion).

Notes

(1) Sartre disait notamment que l'imagination est une création dont la matière est la connaissance et non l'agglomération plus ou moins fortuite d'impressions indistinctes.
(2) Dès la seconde moitié du siècle dernier de nombreux chercheurs ont souligné le fait que les premiers Européens maîtrisaient parfaitement les notions de temps et d'espace, dans lesquels ils savaient parfaitement se repérer et se projeter. On a découvert nombre d'objets utilisés pour l'observation astronomique, liée au calcul du temps, de lieux aménagés pour indiquer précisément Solstices et Équinoxes, des proto-calendriers dont certains représentent les phases lunaires et les lunaisons annuelles, sans parler d'une pensée conceptuelle et symbolique systématisée par une technique généralisée qui s'apparente même par certains cotés à une ébauche d'écriture... Tout ce que nous avons pris l'habitude de lier aux civilisations agricoles, en situant son émergence en Mésopotamie, se trouvait en somme exister déjà, non sous une forme larvaire et isolée, mais bien sous une forme pratique et culturelle, plus de 10000 ans auparavant sur le territoire de l'actuelle France métropolitaine. Le célèbre ethnologue André Leroi-Gourhan et bien d'autres, étudiant les œuvres pariétales en fonction de leur topologie en vinrent à déterminer le rôle des sanctuaires rupestres non comme des lieux de vie, comme on le pensait encore, où auraient été improbablement pratiqués totémisme, magie et chamanisme, mais bien plutôt comme des repères éminemment symboliques et didactiques pour l'espèce, des sanctuaires d'initiation périodique. Si ces théories se vérifient, ce qui semble bien être le cas, peut-être pouvons nous nous risquer à apparenter ces usages aux Mystères de la Grèce Archaïque et Classique qui semblent en avoir longtemps perpétué la mémoire,  reprenant, en les élaborant quelque peu, leur dynamique et leurs principes fondamentaux? Les sanctuaires secrets antiques étaient aménagés d'une façon étonnamment semblable; les hiérophanies, ou dévoilement des archétypes (arcanes), la source probable des Idées métaphysiques pythagoriciennes et platoniciennes, sont reçues comme une révélation, et l'adyton, qui est l'endroit le plus ésotérique de l'espace sacré même où elles avaient lieu, présente un parallèle troublant avec l'agencement habituel des hauts-lieux de pèlerinage préhistoriques : L’anamnèse (ou ἀλήθεια alètheia, littéralement l'émergence hors du Lèthé, le fleuve du sommeil, de l'ignorance et de l'oubli... comment ici ne pas penser à cette inversion complète des valeurs qui a conduit bien plus tard à l'institution baptismale, laquelle pourrait n'être rien, en somme, qu'une immersion rituelle à vocation définitive dans ce même fleuve infernal? Il  me semble que, comme on a pu le dire, l'oscillation de l'âme "moderne" entre les idées d'éternel retour et de messianisme - ce dernier s'accompagnant d'un détachement individuel, volontaire ou non, des sources culturelles de l'espèce - trouverait ici un exemple saisissant), l'anamnèse serait en ce sens le retour véritablement traditionnel aux origines de la Connaissance, c'est-à-dire symboliquement, à la naissance de l'esprit, et donc à celle de l'Homme... L'idée de regressus in uterum, qui en est la condition, n'a pas d'autre sens, la caverne étant l'analogie non seulement de la matrice universelle, mais aussi du corps du myste qui s'en trouve viscéralement transformé. Ajoutons que, selon plusieurs théories scientifiques, les représentations animales pariétales ne sont que les transpositions de projections célestes, et vice-versa (voir l'excellent documentaire intitulé Lascaux, le ciel des premiers hommes, ARTE). Comme l'écrit Merleau-Ponty : "[Les actions les plus propres de l'artiste] - ces gestes, ces tracés dont il est seul capable, et qui seront pour les autres révélation - il lui semble qu'ils émanent des choses mêmes, comme le dessin des constellations. Entre lui et le visible, les rôles inévitablement s'inversent. C'est pourquoi tant de peintres ont dit que les choses les regardent" (L’œil et l'Esprit, 1964). Ce que Merleau-Ponty exprime ici est essentiel, en ce que le sens, ou plutôt l'infinité de sens qui se concentre dans l'acte artistique, précède pour une certaine part l'exécution dans la conception de son sujet mais l'accompagne totalement dans l'abandon à son objet. L’œuvre, comme son sujet, est bien sûr pensée, conceptualisation, mais il lui faut aussi se plier à l'universalité des significations que seule confère une structure symbolisante pré-existante (qui n'est pas le fruit d'une élaboration synthétisante entièrement rationnelle), apte à stimuler et provoquer l'inspiration-révélation. En somme la pensée ésotérique, l’œuvre cosmologique,  ne peut être ni arrachée, ni (ce qui revient au même) directement appréhendée par la pensée analytique, mais bien acquise au fil du temps par une sorte de circumambulation simultanée et inverse du mental et de l'imagination; il y a imprégnation culturelle au sens large, et non appropriation directe. Le voile n'est jamais soulevé : C'est peut-être la raison pour laquelle le latin revelare, qui est à l'origine du verbe révéler, signifie littéralement et étymologiquement "voiler à nouveau", puisque même ce qui a été dévoilé n'est jamais la vérité essentielle mais son ombre, son apparence. C'est une explication ésotérique du mythe platonicien de la caverne qui en vaut d'autres. En somme l'initiatique la plus ancienne était peut-être déjà en soi et à tous les niveaux  la mise en correspondance et en analogie d'un microcosme et d'un macrocosme, en d'autres termes l'incorporation progressive par l'homme conscient d'un ordre universel totalisant. Par la pratique de l'astrologie, nous refaisons sans cesse mentalement et pour ainsi dire rituellement ce cheminement, afin de nous situer le plus possible in medias res, au centre même des choses. 


(3) Il faut se souvenir que cette question de l'exploitation de l'imagination collective et de la canalisation des fantasmes individuels s'est déjà posée de nombreuses fois, et assez récemment encore, de 1998 à 2012 quand Neptune transitait le signe du Verseau, sans qu'un status quo satisfaisant ait pu être trouvé. Le Verseau est le domicile de Saturne et Uranus, l'un encourageant les excès de la fantaisie pour explorer ces nouveaux territoires psychologiques induits et tirer profit de leurs "ressources" inépuisables, l'autre tentant de les limiter, d'en restreindre la portée, de les cantonner dans des structures dont on a pu assister au développement exponentiel (que celles-ci fussent psychiatriques, idéologiques, chimiques, médiatiques, ludiques, toujours formelles, toujours radicales mais "absolument modernistes et progressistes" -  car le Verseau est, du fait de son maître moderne Uranus, un signe prolixe, à la fois inventif et extrémiste en ce sens qu'il tend à confondre et généraliser par une certaine vision de l'humanisme, aussi bien le génie que l'erreur). Le scandale posé par la récente parution du nouveau DSM, la bible des psychopathologies, accusée d'inventer des maladies pour ensuite les guérir, mais aussi pour exercer un pouvoir de fait sur la société humaine en définissant ses normes, semble toujours relever du même contexte, pourtant astrologiquement dépassé. C'est qu'ici la question de la liberté humaine se pose de façon très insistante.

(4) Voir également la note 2 de ce papier

(5) La médiatisation n'est en somme que l'encouragement et l'exploitation du "rêve éveillé" qui est le plan d'existence habituel de la plupart des gens, ce même "rêve éveillé" permanent que l'espèce humaine a dû jadis conquérir pour être consciente d'elle-même, ou, pour employer le lexique des neurosciences, le réseau du mode par défaut "contre lequel se réalisent nos prises de conscience" (M.E.Raichle).

(6) Nous ne pouvons que le constater avec amertume, même s'il est vrai aussi que, malgré toute la bonne volonté, il serait dommageable pour l'astrologie même de chercher à se caser dans l'un ou l'autre, j'entends dans tel ou tel cadre idéologique ni, à plus forte raison, dans un cadre encyclopédique-positiviste. Ici elle perdrait beaucoup de sa substance en sacrifiant au scientisme, puisqu'elle s'attache avant tout à la compréhension de l'humain - elle y laisserait son ésotérisme, son propre domaine de référence, elle se livrerait à l'opinion commune; là elle se verrait servir des fins qui ne sont plus directement les siennes, ce qui reviendrait quasiment au même. Dans les deux cas, notamment, en tentant de le rationaliser, elle se méprendrait sur l'irrationnel de l'homme, elle passerait simplement à coté, et ne pourrait plus lui donner sens par elle-même, ou plutôt, en définitive, en elle-même. Comme le rappelait le philosophe et logicien Frédéric Nef, en suivant les critères de signification du Cercle de Vienne dans les années 1930 ni Newton, ni Einstein, pour ne rien dire des quantiques, n'aurait passé avec succès le test du positivisme logique, lequel fut pourtant à l'origine d'un processus d'anéantissement ("dépassement" ou "déconstruction", si l'on préfère) sans précédent de la métaphysique... Qu'est-ce qui, en fait, pourrait être qualifié de purement rationnel? Les sciences humaines, et en particulier les psychologies, sont évidemment en grande partie irrationnelles parce que leur raison d'être réside plutôt dans ce principe que l'homme n'est pas un terrain expérimental, et leurs postulats de travail demeurent pour la plupart subjectifs et hypothétiques, ce qui n'altère en rien leur efficacité. Mais les sciences "positives" ou sciences de la matière sont elles aussi désormais contraintes de recourir à l'irrationnel pour pouvoir maîtriser et expliquer cette même matière. On se dit que si la matière inerte est, encore aujourd'hui, à ce point éloignée de la pure raison humaine combien d'avantage doit l'être l'homme lui-même! Si l'on me passe ce trait d'humour, même le cartésianisme est irrationnel jusque dans ses prémisses : "Je pense, donc je suis" se heurtant à l'impossibilité de définir l'être ni le moi, il ne s'agit que d'une intuition artistique sans nulle valeur démonstrative... et, du reste, en tant que vérité indémontrable mais généralement admise, l'axiome échappe au rationalisme, comme tout ce qui est inaccessible à l'explication argumentée (en quoi l'axiomatique diffère-t--elle essentiellement de l'orthodoxie dogmatique cultuelle?) ; il y a de l'irrationnel dans les mathématiques (voir aussi les théorèmes de Gödel, qui sont généralisables à tout système scientifique) et il y a de l'irrationnel dans la logique; bien peu de choses en fait sauraient se prêter une fois pour toutes à une explication extérieure objective; rien n'est donc entièrement rationnel, et exiger que tout le soit absolument revient même pratiquement à une tentative arbitraire et inutile de dévitalisation (ou de perturbation) de l'essence des choses. Un "pur esprit" ne serait sans doute pas un esprit purement rationnel, du moins dans l'acception courante du mot "Raison". On sait combien subversif et dangereux peut (légitimement) paraître encore aujourd'hui un tel discours, mais il ne l'est à la réflexion que lorsqu'on tente de l'extraire de son contexte propre : Ces quelques indications ne font que rappeler que ni la connaissance ni l'intelligence, et encore moins la Raison, ne sauraient s'enfermer longtemps dans le rationalisme (ni, surtout, en fait, le matérialisme et le positivisme avec lesquels on le confond ordinairement), dont par ailleurs nous ne nions absolument pas l'utilité voire la nécessité dans notre discipline même. La démarche scientiste est parfois tentante, mais l'homme n'est toujours pas "computable".

(7) Sans parler de la mémoire que la pratique de l'astrologie semble (c'est du moins une observation personnelle) aider à entretenir, voire à améliorer. En reliant certains faits à un schéma particulier, en les contextualisant et en augmentant de cette manière les liaisons conscientes porteuses de sens, il devient plus facile de se les rappeler avec précision. Voir aussi la note 4, ibid.

Explication des illustrations
L’image symbolique est transfiguration d’une représentation concrète par un sens à jamais abstrait. “Le symbole est le chiffre d’un mystère”, dit Corbin, et, comme le dit Ricoeur, "tout symbole authentique possède trois dimensions concrètes : il est à la fois cosmique (il puise sa figuration dans le monde visible), onirique (il s’enracine dans les souvenirs et les gestes qui émergent dans nos rêves et constituent la matière concrète de notre biographie intime, enfin poétique, c’est-à-dire qu’il fait appel au langage le plus jaillissant donc le plus concret.” Gilbert Durand - L’imagination symbolique
Il est raisonnable d’avancer, avec l'ethnologue A.Testard par exemple que la plupart des représentations féminines datant des périodes allant de l’Aurignacien au Magdalénien inférieur (l’ère des peintures rupestres en France) ne sont pas des images réalistes de la femme mais bien plutôt des représentations de la femme symbolique. En témoignent d’une part la forme rhomboédrique (en losange), figure universelle dans laquelle sont sculptées des formes féminines généreuses (mise en évidence par A.Leroi-Gourhan, voir fig.1 et fig.2), et d’autre part certaines représentations féminines de la même époque associées à la Lune, dont la célèbre Vénus de Laussel, ou Vénus à la corne (fig.3). On sait que le losange est un symbole universel de féminité et de la fécondité (en Inde, par exemple, la matrice, ou Yoni, symbole de la Shakti, la puissance féminine, a encore le plus souvent cette forme). La symbolique lunaire est liée depuis toujours à la femme, par analogie. La corne, par ailleurs, est un symbole lunaire. De surcroît, cette "corne", ou cette figure en croissant, comporte quatorze entailles que l'on a pu mettre en relation avec le cycle lunaire et menstruel de la femme. Les trois niveaux d’interprétation de Ricoeur-Durand sont tout à fait applicables à ces représentations primordiales, mais nous pourrions les préciser en appliquant une seconde grille de lecture, qui leur confèrerait en outre une valeur potentielle d’observation naturaliste, de compréhension-explication du monde à la fois intellectuelle et analogique, et enfin d’initiation-révélation. 


Lectures recommandées (bibliographie sommaire) 

Le lecteur attentif aura remarqué que je n'ai pas étudié ici en les détaillant méthodiquement les notions de correspondance et d'analogie, sans non plus les définir avec précision. Il ne s'agit que de réflexions, comme l'indique le titre de l'article, liées à la configuration astrale qui nous occupe, celle-ci les impliquant, et donc nécessitant que l'on les aborde, même superficiellement. Nous y reviendrons de toute façon obligatoirement. Voici quelques ouvrages dont je me suis servi, dont certains, en attendant, pourront aider à approfondir  la question.

  • Gilbert Durand, Œuvres, et notamment Les structures anthropologiques de l'imaginaire, 1969, et Les trois niveaux de formation du symbolisme (1962)
  • Gaston Bachelard, Œuvres, et notamment Le Rationalisme appliqué, 1949, L'eau et les rêves, essai sur l'imagination de la matière, 1942
  • E.Durkheim et M.Mauss, Œuvres, et en particulier De quelques formes primitives de classification, Année sociologique, VI, Paris, 1901, Le ciel dans l'histoire et dans la science (1936), Le macrocosme et le microcosme (1937) 
  • Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, 1953
  • Charles Beaudelaire, Œuvres
  • Henri Corbin, Œuvres, et notamment L'imagination créatrice, 1953. Voir aussi ce site (en Anglais)
  • Titus Burckhardt, Principes et méthodes de l'art sacré, 1958
  • Mircea Eliade, Œuvres, notamment Le Mythe de l'Eternel Retour (1949), Images et Symboles (1952) et La Nostalgie des Origines (1971)
  • J.G.Frazer, Œuvres
  • G.Debord, La société du spectacle (1967) et Commentaires sur la société du spectacle, 1988  
  • C.G Jung, Œuvres, et entre autres Les racines de la conscience, 1954. 
  • A.Leroi-Gourhan, Œuvres
  • Chantal Jègues-Wolkiewiez, Ethnoastronomie
  • C.Levy Strauss, Anthropologie structurale, 1958, et La pensée sauvage, 1962 
  • M.Merleau Ponty, Les aventures de la dialectique, 1955, L’œil et l'esprit, 1961
  • Platon, Œuvres
  • Collectif, Les Présocratiques, éditions Gallimard, coll. La Pléiade, 1988  
  • Marcel Baudoin, Les Pléiades au Néolithique  (essai) (1916), et autres essais, sur Persée 
  • P.Ricoeur, Œuvres, notamment Essais d'herméneutique, Idéologie et Utopie (1997), La métaphore vive (1975)
  • J.P.Sartre, l'Imagination (1936) 
  • J.P.Sartre, l'Imaginaire, essai de psychologie phénoménologique de l'imagination (1940)
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